Galerie Showcase – Grenoble – Solo show – Bojan Stojčić – Until June 9th 2019
Young man (30) from Sarajevo, BiH, seeks a person to discuss art with. Text: 00 387 62 130 153
26 avril – 9 juin 2019
Galerie Showcase, Angle de Place Claveyson et Place aux Herbes, Grenoble, France
Special thanks to Pascale Riou
Salut Bojan, on te connait peu encore en France, peux-tu rapidement te présenter ?
Je suis un jeune artiste, travaillant dans le domaine des arts visuels, je vis et travaille à Sarajevo.
Depuis plusieurs années, tu travailles sur un corpus de photographies intitulé No trace promises the past, c’est un projet que tu poursuis au quotidien – l’espace public considéré comme atelier – un projet que tu pourrais poursuivre toute ta vie ? Tu m’en dis un peu plus ?
En effet, je ne vois pas l’art comme quelque chose de fini, ce travail est une sorte de procédé, comme une documentation quotidienne de ma vie, un cycle, une photographie en amène une autre, c’est une pratique de documentation qui me semble naturelle.
Je viens de la scène du graffiti à Sarajevo. J’avais 7 ans quand la guerre a commencé, j’ai dû fuir la Bosnie-Herzégovine, j’étais réfugié à Zagreb. Je suis revenu quelques années après la fin de la guerre. Dès le début de mon adolescence j’ai très vite rejoint la scène d’artistes graffiti, je n’étais pas le seul, j’avais besoin de me réapproprier ma ville, je voulais marquer ma présence, comme un témoignage ou une preuve de mon existence écrite sur les murs : j’étais vivant. Beaucoup n’ont pas eu cette chance…
Dans ce projet je laisse une empreinte d’une sensation à un moment précis et dans un espace précis, comme un réaction sensorielle immédiate à une situation, l’utilisation du texte me semble franche et directe. Je cherche la simplicité et l’immédiateté…
La plupart de tes œuvres utilisent du texte, des mots, des courtes phrases que tu inventes et qui sont très proches des haïku japonais… Tu m’en dis un peu plus ?
Je suis très intéressé par le langage, c’est drôle, je suis bosnien, mais je peux être compris en Croatie, en Serbie, notre langue commune étant le serbo-croate, ma petite amie est polonaise, mon galeriste est français, je travaille également pour une agence Suisse… et je parle un « broken english ». La plupart des textes sont en anglais, le fait de les rédiger en anglais m’oblige à reformuler les choses, le langage change ma façon de penser, m’emmène vers de nouveaux territoires, ça me pousse autre part, parfois même j’invente des mots, des tournures de phrases… Le texte est aussi pour moi une forme de dessin, je pense qu’on retient autant un mot qu’une image…
Parlons un peu du projet pour Galerie Showcase à Grenoble. Dis-moi si je me trompe, c’est une observation : j’ai le sentiment que la jeune génération d’artistes de Bosnie-Herzégovine se détache de plus en plus des sujets liés à la guerre (mémoire collective et individuelle, identité, frontières, nationalisme). Nous sommes aujourd’hui plus de 20 ans après la fin de la guerre ; est-ce un moment de transition ?
La génération d’artistes qui me précède a vécu de plein fouet la guerre ; ils étaient assez grand pour comprendre, pour se souvenir. Il était nécessaire et logique que ces artistes en parlent, c’est leur histoire, leur mémoire, ils l’ont traduit au travers de beaucoup d’œuvres puissantes émotionnellement, c’est la traduction d’une souffrance vécue.
L’art ne changera rien, il est naïf de penser que l’art peut changer le monde, les artistes s’engagent mais l’art ne sauvera jamais le monde… bien que ce soit d’une certaine manière une arme de défense contre la barbarie.
Ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est mon identité morcelée, ce que je suis au monde : je suis originaire de Sarajevo, j’étais réfugié, ce sont les faits ; c’est très difficile au regard des autres d’être la « victime ». J’aimerais être vu comme un artiste plutôt que comme une victime de guerre traumatisée : je veux faire des fêtes, faire l’amour tous les jours, me saouler avec mes ami(e)s, me sentir libre et vivant. J’aimerais tellement que l’on parle d’autre chose… d’art peut-être…
Entretien avec Pierre Courtin, avril 2019