Newspaper L’Echo – Le 3 Novembre 2020

Le phalanstère de Pierre Courtin

Pierre Courtin est un corsaire des arts plastiques. Ce Français a créé à Sarajevo en 2004 la Galerija10m2, devenue en 2009 Duplex100m2, qui participa à la renaissance esthétique de la ville après la guerre. Jusqu’en 2018, il y organisa des dizaines d’événements, mobilisant 150.000 euros sur la période. Son modèle reposait sur le soutien de la Fondation de la créatrice de mode Agnès B, «qui payait en partie les murs et achetait des œuvres» et les aides ponctuelles publiques suisses, autrichiennes, françaises, couvrant billets d’avion, hébergement, organisation (l’argent public ne peut en effet pas financer de lieu privé en tant que tel).

En 2018, Courtin décide de clore ce chapitre et de s’associer avec Lucia Gigli, qui possède une maison à Corinaldo, bourg de 5.000 habitants voisin d’Ancône, sur l’Adriatique. Ils y ouvriront en 2021 un lieu d’expositions et d’échanges avec artistes invités et commissaires d’exposition. Ils s’associent à Idoine, animé par Jérémy Glâtre, Éléonore Pano-Zavaroni et Pascale Riou, ancré à Lyon, Saint-Étienne, Grenoble et Paris, éditeur de livres, d’objets et du magazine éponyme, qui réfléchit à «notre pratique artistique et à l’économie de cette pratique» (notamment sujet d’une journée d’études à l’université de Saint-Étienne). Il s’agit de «lier l’art à la ré- flexion sur des relations nouvelles, hors pro- fit. Notre modèle économique, local et international, est à étages: la maison de Corinaldo permet d’envisager l’autarcie, avec un vaste potager très productif. Nous misons sur un écosystème local de troc, très pratiqué dans ce e région rurale. Une grange attenante sera aménagée en espace d’exposition de 50 m2. Au printemps, nous inviterons des financeurs via crowdfunding. Et nous ferons appel aux dons de notre réseau international, acheteurs d’œuvres et financeurs du projet, plusieurs centaines d’amis.»

C’est un système «écosophique», suivant le philosophe suédois Arne Næss et le psychanalyste Félix Guattari, une écologie environnementale, sociale et mentale. «Cette volonté plus répandue qu’on ne le croit dans le monde de l’art», souligne Courtin, «en- gendre une autre temporalité: réunir artistes, commissaires et collectionneurs sur le temps long», favorisant d’autres fécondations croisées qu’un simple vernissage.